WINCKELMANN (J. J.)

WINCKELMANN (J. J.)
WINCKELMANN (J. J.)

Indéniablement l’une des personnalités les plus fascinantes de ce XVIIIe siècle que Goethe appelait le «siècle de Winckelmann», Winckelmann est un précurseur du néo-classicisme européen et notamment allemand. Il est le fondateur de l’archéologie en tant que discipline moderne; grâce à ses écrits, l’histoire de l’art et l’histoire de l’archéologie allemande purent connaître une diffusion européenne. Suivant un parti pris rigoureux, il consacra la validité exclusive de certaines caractéristiques bien déterminées de l’art grec. Le Beau est au cœur même de sa réflexion esthétique. Pleinement conscient de son originalité, il poursuit son objectif avec une assurance admirable et évoque les «miracles» de son existence dans sa correspondance qui comprend près de mille lettres. Ses penchants homosexuels et sa mort violente ont contribué à la naissance de sa légende.

L’ascension

Johann Joachim Winckelmann naquit à Stendal (Vieille Marche), nom que Henri Beyle prit comme pseudonyme. Fils de cordonnier, il étudia à contrecœur la théologie protestante à Halle, et parvint à devenir aspirant. Il mena tout d’abord une existence misérable comme instituteur et précepteur. Tout changea à Dresde. Après avoir été six ans bibliothécaire chez l’historien von Bünau, l’admirateur de Pierre Bayle et de Voltaire se convertit au catholicisme afin, doté d’une bourse par la cour de Saxe, de pouvoir visiter les antiquités romaines. À Dresde encore, il publia son premier écrit qui constitue un programme et qui fit date: Gedanken über die Nachahmung der griechischen Werke in der Malerei und Bildhauerkunst (1755, Réflexions sur l’imitation des œuvres grecques dans la sculpture et la peinture ), un essai de quarante pages tiré à cinquante exemplaires, qu’il fit suivre un an plus tard d’une réplique fictive, Sendschreiben über die Gedanken (L’Épître sur les Réflexions ), à laquelle il répondit par une Erläuterung der Gedanken (Explication des Réflexions ). Les Réflexions parurent dès 1755-1756 en traduction française, puis anglaise. Attaché à Rome à la cour pontificale, président des Antiquités et scriptor de la bibliothèque vaticane, il conseilla son protecteur, le cardinal Albani, lorsque celui-ci décora sa villa de sculptures antiques. Il rejeta des offres émanant de princes allemands, notamment du roi de Prusse, pour conserver son indépendance. En 1768, il voulut cependant se rendre à Berlin mais se ravisa bientôt et retourna en Italie en passant par Vienne, où il fut reçu par l’impératrice Marie-Thérèse. Il mourut le 8 juin 1768 à Trieste, assassiné par un jeune homme qui tentait de le voler.

Dès le premier écrit de Winckelmann, on peut lire ces phrases formulées de manière apodictique, qui firent de lui le héraut du classicisme: «Le seul moyen que nous ayons d’être grands, voire inimitables si c’est possible, est d’imiter les Anciens [...]. L’éminente caractéristique générale des chefs-d’œuvre grecs est [...] une noble simplicité et une grandeur silencieuse [...]. De même que le fond des mers demeure toujours en repos quelle que soit la fureur des flots en surface, les figures des Grecs expriment dans toutes les passions une âme grande et sereine.» Ces phrases condamnent la théorie et la pratique artistiques du baroque et du rococo pour lesquelles, conscient de sa vocation hellénique, il n’éprouvait que mépris. À l’encontre de l’humanisme et du classicisme des pays latins, notamment de la France, qui se réclament principalement de l’héritage romain, Winckelmann proclame l’évangile des Grecs qui, grâce à lui et à ses disciples, Herder, Goethe, Hölderlin et même Nietzsche, est devenu le modèle du néo-humanisme allemand.

Accession à l’humanité par la beauté

Dans ses ouvrages de la période italienne, Winckelmann développa les aperçus esquissés dans ses premiers écrits. À Florence, il rédigea le catalogue d’une collection de gemmes qu’il publia en langue française: Description des pierres gravées du feu baron de Stosch (1760). À ses amis et bienfaiteurs allemands il rendit compte dans deux ouvrages de la découverte des trésors mis au jour à Herculanum (1762 et 1764), jalousement gardés, et auxquels il avait réussi à se frayer un accès, et leur adressa Über die Baukunst der Alten (1762, Remarques sur l’architecture des Anciens ). À un jeune ami il dédia l’Abhandlung von der Fähigkeit der Empfindung des Schönen in der Kunst und dem Unterrichte in derselben (Des réflexions sur le sentiment du beau dans les ouvrages de l’art et sur les moyens de l’acquérir, première traduction française, 1786), qui fait ressortir au maximum l’alliance de réflexion esthétique et d’enthousiasme pédagogico-érotique qui caractérise toute l’œuvre de Winckelmann. Les Monumenti antichi inediti, spiegati ed illustrati (1767), écrits en italien, sont «devenus pour tout un siècle [...] et au-delà le modèle d’ouvrages encyclopédiques destinés à faire connaître au public les monuments inconnus» (Ludwig Curtius). Tout comme le Versuch einer Allegorie... (Essai sur l’allégorie ) qui s’assigne des objectifs didactiques en matière d’art, les Monuments inédits de l’Antiquité sont un ouvrage d’érudition. Le principe fondamental qui les régit consiste pour Winckelmann à interpréter certaines scènes figurées sur les monuments romains non comme des représentations de la légende ou de l’histoire locale, mais, à juste titre, comme tirées de la mythologie grecque; ses erreurs reposent sur le même postulat, mais elles ont contribué puissamment au développement de l’herméneutique archéologique. Les Monuments devaient avoir pour effet d’éduquer le goût de l’élite intellectuelle européenne et de la hausser par la beauté à une humanité accomplie.

L’apogée

L’œuvre maîtresse de Johann Joachim Winckelmann, Geschichte der Kunst des Altertums (1764, Histoire de l’art de l’Antiquité ), puis les Anmerkungen (1767, Remarques ) y afférentes sont issues des célèbres descriptions des statues du Belvédère du Vatican, surtout de l’Apollon et du Torse : poèmes en prose dans lesquels il cherche, dans un «style noble» créé par lui à cet effet, à percer le secret de la beauté plastique. L’élément descriptif est toutefois intégré dans la trame historique. Winckelmann distingue «les origines, l’éclosion, la mutation» – visant par là surtout le IVe siècle – «et la décadence» de l’art grec. Il emprunte probablement ce schéma en courbe aux Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence de Montesquieu. Contrairement à ses prédécesseurs, il n’écrit plus l’histoire des artistes, mais celle de l’art, c’est-à-dire du style. Les erreurs commises dans l’attribution de certaines œuvres (par exemple, du groupe du Laocoon) à des périodes stylistiques différentes s’expliquent en partie par son goût néo-classique, en partie par le fait que de nombreux monuments, surtout ceux des époques archaïques et classiques, lui étaient encore inconnus (comme le Parthénon). Une familiarité prodigieuse avec les auteurs classiques étaye sa classification, fondée sur l’évolution stylistique et son intelligence esthétique; elle est mise au service d’une fin ultime: la connaissance du beau dont les caractéristiques pour Winckelmann sont données a priori. Le but de l’Histoire de l’art est également l’éducation esthétique d’une élite.

La réussite de l’ouvrage réside dans le revirement que Winckelmann y opéra. Il aboutit à ses résultats non point à l’aide des méthodes érudites du temps mais par un acte de renouvellement méthodique. À l’instar de Pétrarque qui avait provoqué l’avènement de l’humanisme italien non pas dans le sillage d’écoles ou d’universités, mais en allant à contre-courant de l’organisation scolastique de son époque, Winckelmann fonde le néo-humanisme et le néo-classicisme en prenant le contre-pied du système d’enseignement établi par le baroque tardif (Spätbarock ) et le siècle des Lumières. Et, de même que l’humanisme italien était issu de l’apport original de Pétrarque, à savoir sa sensibilité aiguë à l’harmonie de la langue latine, de même le néo-classicisme fut inauguré à son tour par une expérience de la perception esthétique. Ce qui distingue Winckelmann de ses prédécesseurs et de ses contemporains n’est pas tant son intelligence acérée que son don de vision d’une lucidité supérieure et qui faisait défaut aux «doctes pédants». À leur érudition livresque il oppose inlassablement la contemplation vivante exercée au contact des antiquités romaines, l’observation intense, le regard vigilant. C’est dans ce contexte qu’il convient de comprendre le strict impératif qui ordonne de distinguer l’œuvre authentique des faux et des adjonctions ultérieures, ce à quoi Montfaucon et Caylus n’avaient pu encore parvenir. Il n’usurpe donc pas la réputation d’avoir fait «œuvre originale», bien avant que le culte préromantique de l’«original» et du «génie original» soit devenu vaine rhétorique.

Les contradictions internes de l’Histoire de l’art veulent que Winckelmann idéalise et canonise l’art grec, bien qu’il décèle clairement le caractère unique et non récurrent des conditions géographiques, climatiques, historiques et sociales qui présidèrent à sa formation. Aux yeux de ce républicain au service d’absolutistes, la naissance et l’épanouissement de l’art postulent la liberté politique qu’il a glorifiée dans un passage fameux de l’Histoire de l’art (IV, I): «Aussi la liberté semblait-elle avoir établi son siège dans la Grèce; elle s’était maintenue même auprès du trône des rois [...]. La façon de penser du peuple s’éleva par la liberté comme un noble rejeton qui sort d’une tige vigoureuse.» De ce fait, le chef-d’œuvre de Winckelmann a pu, en dépit des intentions qui s’entrecroisent et se chevauchent, servir également de modèle éthique aux générations suivantes et leur apporter plus qu’un simple savoir factuel vite dépassé. Goethe a interprété dans ce sens le «magistral initiateur» lorsqu’il écrivit: «Ainsi, tout ce qu’il nous a légué est écrit par un vivant pour les vivants, non pour les morts tués par la lettre.»

Encyclopédie Universelle. 2012.

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